Renforcer la démocratie pour organiser la décroissance

Dégâts des lieux : une démocratie faible face à la possibilité d'effondrements (*)

(*) Par « effondrement » il faut entendre – au sens large – le dépassement d’un seuil tel que même un reflux (une décroissance) ne permettrait pas de retrouver les conditions de soutenabilité. Écologiquement, ce serait déjà le cas pour 3 limites planétaires : celles qui tiennent au climat, à la biodiversité, et aux cycles de l’azote et du carbone (Atlas de l’Anthropocène, 2019, page 10). Un effondrement peut être écologique, ou social…

Un principe de discussion affaibli :

• La pandémie est une opportunité pour accélérer un nouvel ordre autoritaire numérisé : Big Mother – mère santé – aide opportunément Big Brother à répandre Big Data (La stratégie du choc fonctionne),
• La nécessaire distanciation physique a été appelée distanciation sociale ; la vie ordinaire et les liens sociaux, derniers remparts contre la démesure technologique, ont été attaqués ; les mesures touchant la vie quotidienne ont été prises par des experts,
• Les restrictions sociales ont aggravé les replis individualistes sur des écrans, qui font écran au débat, aux nuances, aux contradictions, à l’autre, au réel. Les théories les plus improbables touchent maintenant un large public, tandis que l’information ressemble de plus en plus à de la propagande. Mais l’épidémie n’a fait qu’accélérer des tendances préexistantes.

Des multinationales toutes puissantes, qui s’opposent à la démocratie :

• Alors que la conscience écologique progresse, les choix de confinement ont jeté la population dans les bras des plus grands prédateurs et pollueurs de la planète,
• Les citoyens ne sont pas consultés sur les choix technologiques qui impactent leur vie quotidienne : la numérisation, les manipulations génétiques, les ondes, etc. Demain, les citoyen-ne-s seront-ils consultés sur l’intérêt de la voiture autonome ou de l’homme augmenté ? Plus que jamais, la démocratie s’arrête aux portes des entreprises,
• La richesse inouïe de quelques actionnaires finance des recherches d’apprentis sorciers sur la géo-ingénierie ou le transhumanisme. Science sans conscience n’est que ruine de l’avenir. La démesure de quelques-uns pourrait être fatale à tous, alors que le sens des limites est partagé par une majorité.

Un capitalisme hypertrophié :

• L’économie capitaliste a absorbé la société en l’organisant autour de l’appât du gain, et a colonisé les imaginaires avec la marchandise : le prêt à parler de la novlangue managériale s’est imposé partout. Les ventes de S.U.V. ont explosé,
• L’économie a soumis la politique : la gouvernance des lobbies a remplacé le gouvernement des hommes. Les professionnels de la politique soutiennent, contre l’évidence, qu’économie et écologie sont une chance l’une pour l’autre.

Quelques signes d’espoir :

• La méga-machine productiviste qu’on croyait inarrêtable a été momentanément ralentie,
• La convention citoyenne sur le climat, sorte de peuple en miniature de 150 citoyen-ne-s tirés au sort, a pris des positions écologiques bien plus ambitieuses que les professionnels de la politique.

Comment en est-on arrivé là ?

Un système représentatif bien adapté au capitalisme

• Le gouvernement représentatif est conçu depuis les origines pour « écarter le peuple en corps du gouvernement » et « créer une classe de professionnels de la politique » (Abbé Sieyès, 1789). Il sélectionne, dans un jeu de chaises musicales, une aristocratie élective qui est une des composantes de l’oligarchie,
• Les citoyens sont déresponsabilisés et infantilisés par la délégation de pouvoir constitutive de l’élection, qui empêche la participation active et autorise la démagogie : « Je sais ce qu’il faut faire pour lutter contre le changement climatique, mais si je le dis, je ne suis pas réélu » (Propos attribués à un écologiste belge),
• Les élus sont ainsi poussés aux contradictions et à l’opportunisme : d’un côté, discours écologiques mais de l’autre, votes de crédits pour agrandir le port à conteneurs, l’aéroport, élargir la route et l’autoroute…

Un décalage permanent gouvernants-gouvernés

• Dès le 19ème siècle, les résistances à l’industrialisation furent d’abord des résistances populaires, avec de nombreux briseurs de machines comme les Luddites ou les Canuts,
• Plus récemment, le référendum de 2005 avait démontré statistiquement les différences de position entre population (45% pour le traité européen), élus (environ 80%) et journalistes dominants (99%),
• Comme la convention citoyenne sur le climat, des centaines d’autres conférences du consensus de par le monde ont montré le décalage entre les gens ordinaires et les professionnels de la politique, particulièrement sur les questions écologiques,
• Quand les élus parlent de décroissance c’est toujours pour la décrier… alors que de plus en plus de citoyens s’interrogent…

Qui peut croire que ces différences n’ont pas de conséquences sur les politiques publiques ?

Les effets structurants de la distinction élective

  • La poursuite accélérée de la marchandisation de la terre, du travail et de la monnaie.
  • La validation continuelle du libre-échange, qui profite aux grosses structures.
  • Le financement public de grands travaux, qui profitent d’abord à une minorité, comme les aéroports ou les TGV.
  • La privatisation de services publics comme l’eau ou les transports : la vente de biens communs est un préjudice plus important pour le petit peuple.
  • La vente actuellement programmée des barrages hydrauliques, etc.


Pour sortir de ces politiques, il ne suffira pas de rester à l’intérieur du système représentatif, en promettant des élus éthiques, avec mandats impératifs et révocables à tout moment. Ces vieilles lunes utopiques ont depuis quelques siècles la fonction de faire croire que tout pourrait changer, pour que rien ne change.

 

La vision : pour une extension du domaine de la démocratie

La « démocratie » : c’est le pouvoir du peuple.

Contre la tentation diffuse d’une dictature écologique et contre le règne d’experts soumis aux lobbies, nous soutenons que c’est par une augmentation du pouvoir du peuple, exercé le plus directement possible, à tour de rôle, que le politique pourra reprendre la main sur l’économie, notamment pour :

Réduire l’empreinte écologique globale et préserver la nature

• Constater que l’empreinte écologique des individus est bien plus dépendante de leurs revenus que de leurs opinions, fussent-elles écologiques et convenir qu’il n’est pas raisonnable de laisser les décisions aux catégories qui consomment le plus, comme c’est le cas,
• Trouver en conséquence des procédures permettant au peuple de peser directement sur les décisions, pour les infléchir vers davantage de mesure et de modération, par exemple pour mettre fin aux grands travaux.

Retrouver une décence commune et préserver la vie sociale

• Réduire les inégalités pour réduire les consommations ostentatoires ou « positionnelles »,
• Établir une norme du suffisant opposable à la démesure et à l’illimitation : ni pas assez, ni trop. Définir une politique de l’usage pour contrer le gaspillage : définir un plancher – un minimum – et un plafond – un maximum – pour les consommations matérielles,
• Revenir à des sociétés à taille humaine : favoriser les petites structures relocalisées et autogérées,
• Étendre la démocratie au sein des entreprises, des services publics et des organisations comme la sécurité sociale.

Mais alors, comment donner davantage de pouvoir au peuple dans un système représentatif conçu pour l’exclure ? Faudrait-il mettre à bas des institutions patiemment sédimentées par l’histoire ? Ou serait-il possible, comme nous le proposons, de faire évoluer les institutions actuelles vers davantage de démocratie ?

Le préalable : tenir compte des propriétés des procédures démocratiques

• Le vote pour des individus permet à chacun de choisir, mais sélectionne mécaniquement une élite qui ne peut pas ressembler au peuple,
• La démocratie directe dans des assemblées ou par le référendum pose le problème décisif du temps nécessaire aux citoyen-ne-s pour débattre avant de décider (sinon les sondages suffiraient),
• Les conférences du consensus ou jurys citoyens, sortes de portion de peuple éclairé par le débat, n’ont pas de légitimité suffisante (aujourd’hui reconnue) pour prendre des décisions contraignantes.

Convenir que ces trois procédures démocratiques donnent des résultats très différents sur nombre de sujets (ex : 110 sur autoroute, 5G, détaxation du kérosène…) et en tirer les conséquences.

La méthode : proposer des processus de décisions qui maximisent les avantages et minimisent les défauts de ces procédures démocratiques ; l’extension du domaine de la démocratie passe par un mix démocratique :

• Démocratie représentative : défendre le suffrage universel et l’élection mais limiter la professionnalisation,
• Démocratie participative : installer des assemblées populaires, disposant d’un droit de veto temporaire, à côté de chaque assemblée élue,
• Démocratie directe : mettre en place progressivement un système de votation citoyenne (comme en Suisse).

Les propositions : démocratiser les prises de décisions pour relocaliser les activités

En cohérence avec la relocalisation des activités dans des bio-régions autonomes, nous souhaitons à terme une relocalisation des décisions politiques, dans une démocratie semi-directe avec :
• Des assemblées populaires et des élu-e-s locaux, disposant d’un « mandat de confiance »,
• Des élus exemplaires : le statut des élus sera revu pour limiter les différentes formes de cumul des mandats (1 par territoire et pas plus de 2 dans le temps) avec des procédures d’inéligibilité en cas de manquements graves,
• Des citoyens concernés par la chose publique : créer et valoriser un « parcours citoyen » obligatoire en aval de tout mandat incluant plusieurs demi-journées par an (visites dans des services publics, formation par des « experts » choisis, autoformation en agora),
• Une fédération d’échelons à inventer : voisinages, communes, bassins de vie, bio-régions…

Pour les niveaux régionaux actuels – mais aussi pour le niveau national et européen -, partout où le contrôle citoyen est rendu difficile par la distance, nous proposons :
• D’instituer une assemblée populaire, tirée au sort, renouvelée tous les 1 à 2 ans, à côté de chaque assemblée élue, en remplacement des différents organismes de conseils, comme le C.E.S.E., généralement contrôlés par les lobbies,
• De donner comme compétences à ces assemblées populaires :
     – Un droit de veto (ou de blocage des décisions) temporaire d’un an sur les décisions votées par les élus,
     – Le droit de convoquer des jurys citoyens temporaires (ou conférences du consensus) pour éclairer les choix de l’assemblée populaire sur une question précise,
     – Le droit de décider d’une question à poser lors des référendums, dans le champ de compétence de la collectivité.

Des référendums réguliers à tous les échelons de territoire :
• Organiser un référendum tous les 2 ans, à date unique pour tous les niveaux territoriaux, en attendant la mise en place d’un système de votation citoyenne,
• Intégrer à ces référendums les questions issues de l’initiative des citoyen-ne-s (R.I.C.).

Ces procédures de démocratisation ne bouleversent pas les institutions, tout en instituant des droits d’initiative et de veto populaire.
Cela aura pour effet immédiat de sortir de l’agenda politique les mesures défavorables à l’intérêt du plus grand nombre, et pour effet à moyen terme de créer les conditions politiques d’une relocalisation des activités.