Education

L’attachement comme vecteur d’autonomie

On a longtemps cru qu’il fallait rendre l’enfant autonome en « coupant le cordon », en l’incitant à « quitter le nid ». Aujourd’hui, on sait que c’est l’inverse : c’est d’un port d’attache dont il aura, infailliblement, éprouvé la fiabilité, que l’enfant partira, un jour (le sien), sans crainte, à l’aventure. Il partira avec, dans l’immense besace de son cerveau, toutes les expériences faites dans son « village ». S’il n’y a fait l’expérience ni de l’esclavage, ni de la tyrannie, il n’acceptera aucun de ces deux états, car ils ne sont pas génétiques, ni innées, mais bien acquis. Mettre l’enfant à l’écart du monde, c’est contrarier sa disposition spontanée à aller « dans le vaste monde ». Tout en lui est fait pour qu’il y trouve sa place, son rôle, son sens. Si l’idée d’extraire l’enfant du monde pour le préparer à la vie a pu exister, elle est désormais obsolète, car contradictoire. Il nous suffit de regarder l’enfant qui, dès ses premières heures, va vers les autres, à bras et à cœurs ouverts, pour voir à quel point il est libre des préjugés et des « ismes » qui noyautent notre société. L’enfant ne tient compte ni de la couleur de peau, ni de la religion, ni du sexe, ni même de l’âge de la personne à la rencontre de laquelle il va. Un dicton africain dit que pour faire grandir un enfant, il faut tout un village. Au lieu de cela, on place les enfants dans des ghettos. Il sont rangés par catégories, comparés selon ce qui est comparable et s’adaptent, dès leur plus jeune âge, à la plus grande sapeuse de potentiels : la compétition. (1)

Voulons-nous vraiment des enfants forts et en bonne santé ? C’est la question que pose le thérapeute danois Jesper Juul. Il écrit : « Un enfant fort et en bonne santé est d’abord et avant tout un enfant qui a une estime de soi saine et toute la confiance en soi que ses compétences et talents lui permettent de récolter. Avoir une estime de soi saine, c’est s’accepter, de manière sobre et nuancée, tel que l’on est. Avoir de soi une image réaliste sur laquelle on ne portera pas de jugement. Avoir une estime de soi saine, c’est avoir le système immunitaire psychosocial le plus efficace que nous connaissions, et qui empêchera la toxicomanie, les troubles alimentaires, les comportements suicidaires, la violence et toutes les autres choses auxquelles nous espérons que nos enfants ne seront pas sujets. Cela permet aussi à un enfant ou à un jeune de dire oui et non – oui à soi-même, ses limites, ses valeurs personnelles, ses pensées et ses émotions, et non à certains de ceux qui exigent l’obéissance et la soumission. Mais est-ce vraiment ce que nous voulons ? Nous le voulons pour nos jeunes adultes car cela les protège et nous protège de nombreuses souffrances, mais le voulons-nous aussi pour nos enfants quand ils ont 1, 2, 4, 7 ou 15 ans ? L’attitude générale et le comportement de la majorité des parents, comme des enseignants et professionnels de la petite enfance, montrent que la vraie réponse est non. » (2) Pourquoi les observations cliniques d’Emmi Pikler ou de Maria Montessori ne sont-elles pas connues de l’ensemble des actrices et acteurs de la petite enfance ? Pourquoi nos enfants jouent-ils de moins en moins à l’école maternelle ? Le jeu est pourtant le plus efficace, le plus adapté et le plus heureux des dispositifs de développement cérébral, et donc d’apprentissage ! La neurobiologie prouve ce que nous savons tous par expérience : l’enthousiasme agit comme un engrais. Là où nous nous enthousiasmons, notre cerveau se développe de manière rapide et spontanée. Célestin Freinet le savait il y a longtemps déjà : « Nous cultiverons avant tout ce désir inné chez l’enfant de communiquer avec d’autres personnes, avec d’autres enfants, surtout de faire connaître autour de lui ses pensées, ses sentiments, ses rêves, ses espoirs. Alors, apprendre à lire, à écrire, se familiariser avec l’essentiel de ce que nous appelons la culture sera pour lui une fonction aussi naturelle que d’apprendre à marcher ». (3) Et pourtant à l’école, milieu artificiel, de nombreux enfants perdent leur vivacité d’esprit et leur joie d’apprendre.

Eduquer à la Paix ? Maria Montessori dans une conférence, en 1932, insistait sur les liens entre l’éducation et la paix : « Une éducation qui fait obstacle au développement de l’intelligence, qui condamne des pans entiers de la population à l’ignorance, est un crime. Toutes nos richesses provenant du travail de l’homme, il est absurde de ne pas considérer l’homme lui-même comme la plus fondamentale de nos richesses. Nous devons rechercher, cultiver et mettre en œuvre les dynamismes de l’homme, son intelligence, son esprit créatif… La production de l’homme doit être orientée vers un but que nous pouvons appeler civilisation, ou, en d’autres mots la création d’une super-nature, œuvre de l’humanité. […] Le cœur de la question de la paix et de la guerre ne réside pas dans le besoin que les hommes peuvent avoir des armes matérielles pour défendre les frontières géographiques. La première vraie ligne de défense contre la guerre est l’homme lui-même, car là où l’homme est dévalorisé et où règne le désordre social, l’ennemi universel est prêt à profiter de la brèche qui se trouve ainsi créée. » La violence éducative ordinaire est partout : confirmée par les décisions politiques prises pendant la période covid, quotidiennement employée par de nombreux adultes des communautés éducatives à qui nous confions nos enfants et au sein des familles.

Quoi faire ? Sortir de la cécité collective concernant les violences éducatives ordinaires. (4) Apprendre aux enfants, comme ils le font tout naturellement dans leurs jeux, à s’inscrire dans un groupe de travail où chacun soutient sa partition car c’est bien l’orchestre qui donne la plus belle image du travail en équipe, le tout au profit d’un but, qui est le but commun. C’est dans une classe coopérative (et non dans une classe inversée), que l’enfant deviendra un citoyen : électeur conscient, qui juge son bureau ; militant conscient, qui fait partie d’un bureau et qui intègre l’intérêt du groupe tout entier, la vision du groupe tout entier dans chacun de ses gestes, assumant les responsabilités, prenant sa part d’autogestion. (5) Apprendre aux parents, éducateurs et enseignants à développer leurs compétences psycho-sociales, afin que nos enfants puissent développer les leurs. (6) Apprendre et mettre en oeuvre le processus de Communication NonViolente en famille, en classe, dans nos établissements scolaires et entreprises. (7)

(1)« Manifeste pour une écologie de l’enfance » André Stern 2014.

(2) « Voulons-nous vraiment des enfants forts et en bonne santé ? » Jesper Juul 2012.

(3) « L’éducation du travail » Célestin Freinet 1947.

(4) « Observatoire de la violence éducative ordinaire » https://www.oveo.org/la-violence-educative-toujours-dans-le-trou-noirde-la-psychanalyse/

(5) https://www.icem34.fr/ressources/classe-cooperative/demarrer-une-classe-coop/43-demarrer-une-classe-cooperative

(6) https://www.santepubliquefrance.fr/docs/les-competences-psychosocialesun-referentiel-pour-un-deploiement-aupres-des-enfantset-des-jeunes.-synthese-de-l-etat-des-connaissances-scientif

(7) https://cnvfrance.fr/communication-non-violente/